Le nom de Dahmane El Harrachi revient toujours, il a su marquer les esprits avec sa voix un peu rauque et su toucher les cœurs des algériens, mais pas seulement, il a également réussi à atteindre le cœur de tout les exiler du monde grâce à sa musique « Ya Rayah », qui a su traverser le temps.
Un enfant d’El Harrach
Dahmane El Harrachi nait en 1926 à El Biar, sous le nom de Abderrahmane Amrani, dans une famille de onze enfants originaire wilaya de Khenchela, il est le dernier-né de cette famille installé à Alger dans les années 20, son père était muezzin à la grande mosquée d’Alger.
Il vit d’abord avec sa grande famille à Belcourt, l’actuel Belouizdad puis à El Harrach, c’est dans ce quartier populaire d’Alger que Dahmane (diminutif de Abderrahmane) trouvera son nom de scène “El Harrachi”.
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Des cafés d’Alger aux nuits de France
Travailleur, adolescent, il enchaine les boulots, d’abord cordonnier, ensuite receveur dans le tramway d’Alger. Pendant ce temps, il se met au banjo, un instrument peu courant dans le chaâbi traditionnel, et reprend les musiques de chanteurs chaâbi tel que Khelifa Belkacem. Très vite, il devient un prodige banjo. Dans les cafés d’Alger, il chante ce qu’il voit, la rue, la débrouille, les amours compliqués.
Puis vient le temps de l’exil. Comme beaucoup d’Algériens de l’époque, il part tenter sa chance en France. En 1949, il s’installe d’abord à Lille, ensuite Marseille et enfin à Paris.
Il multiplie les représentations au banjo pendant plusieurs années dans les cafés maghrébins de France, Entre autres avec le maître de la musique chaâbi cheikh El Hasnaoui.
Il reprend également des anciennes musiques de Melhoun, sentant que ce vieux répertoire n’atteint plus sont publics qu’il décide d’écrire ses propres chansons, il devient la voix des travailleurs immigrés, ceux qui bossent dur le jour et pleurent un peu le soir en pensant au pays.
Un révolutionnaire du chaâbi
Artiste original, Dahmane modernise le chaâbi et donne au banjo et à la mandole un phrasé, une harmonie et des accentuations qui lui sont propres et qui le distinguent des autres chanteurs traditionnels. Loin des dictats des maîtres du chaâbi de la Casbah, il rompt avec les conventions et crée un nouveau langage musical et poétique. Mais cette audace a un prix. Ses chansons ne sont pas appréciées par le culturellement correct d'Alger
Son répertoire est constitué d'environ 500 chansons dont il est l'auteur. Une production impressionnante qui témoigne de sa créativité débordante.
Le premier enregistrement
En 1956, en pleine guerre d'indépendance, il enregistre son premier disque chez Pathé Marconi. Sa chanson porte le titre de « Behdja Bidha Ma T'houl » (Alger la blanche ne perdra jamais son éclat). Un titre chargé de symbolisme politique en pleine lutte pour l'indépendance.
« Ya Rayah », une musique pour les exilées
Dans cette dynamique, il écrit une chanson qui deviendra emblématique « Ya Rayah » est une de ses chansons fortes, écrite avec des mots qui touchent tout le monde, pour chanter la douleur du départ et l’attente d’un retour.
« Ô toi qui t’en vas, tu finiras par revenir… »
Quelques années plus tard, en 1997, une autre icône de la musique algérienne, Rachid Taha, reprendra cette chanson. Il en fera une version célèbre qui traversera les frontières. La reprise atteint le Top 11 en France et est certifiée disque d'argent en 1998. Le concert mythique « 1,2,3 Soleils » à Bercy en septembre 1998 avec Khaled et Faudel marquera l'histoire de la musique algérienne. « Ya Rayah » devient alors la musique chaâbi la plus reprise à l'international et la plus célèbre.
Le retour et l’héritage
Dahmane fait toute sa carrière artistique en France. Découvert tardivement par la nouvelle génération algérienne, il n'est performé officiellement en public en Algérie qu'en 1974 à la Salle Atlas d'Alger. Une reconnaissance tardive pour un artiste qui aura marqué des générations depuis l'exil.
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En 1980, Dahmane passe devant la caméra dans Saha Dahmane, un film où il joue son propre rôle. Durant la même année alors qu’il n’avait que 54 ans, il décède tragiquement dans un accident de voiture à Aïn Benian. Il repose aujourd’hui au cimetière d’El Kettar, aux côtés des grandes figures de la mémoire algérienne.
Son fils, Kamel El Harrachi dont il a légué la voix et son style, fait vivre cet héritage avec la même passion. Grâce à lui, les chansons de son père continuent de vivre.
Une icône qui dépasse la musique
Dahmane El Harrachi, c’était un chanteur, oui, mais surtout un poète du peuple. Ses chansons racontent ce que beaucoup ressentaient sans savoir le dire. Il a transformé la nostalgie en art, et donné une voix à ceux qu’on n’écoutait pas.
« Celui qui part finira par revenir. »
Plus qu’une phrase, c’est toute une philosophie. Encore aujourd’hui, dans un taxi à Alger ou un café de Barbès, on l’entend. Et à chaque fois, on se dit « l’Algérie, ça ne s’oublie pas. »